Les lisses du quai de Passy et les envergeurs et pareurs de cordes

Jusqu’au triomphe définitif du remorquage à la vapeur, c’est-à-dire vers les premières années du règne de Napoléon III, le remontage des bateaux en Seine, s’opérait au moyen de chevaux. Des cordes étaient attachées aux vergues de certains bateaux, puis accrochées à une pièce de bois appelée courbe que tirait un nombre de chevaux proportionnel au poids à remonter.

Les animaux trottaient le long des quais et la corde frottait sur le parapet ; pour que ce câble ne soit pas usé par le frottement de la pierre naturellement rugueuse, on garnissait les parapets des quais d’une barre quadrangulaire de fer poli le long de laquelle glissait la corde motrice.

Halage près du Château de Chaillot (détail)

Halage près du Château de Chaillot (détail)

La disparition totale du remorquage par le moyen de chevaux a entraîné celle de ces barres de fer qu’on appelait lisses, et dont il ne reste plus qu’un exemplaire que j’ai signalé à la Commission du Vieux Paris, en lui demandant la conservation de ce souvenir du vieux temps.

Or ce spécimen de lisses se trouve, justement, dans le territoire soumis aux recherches historiques de la Société d’Auteuil et de Passy.

Quai de Passy, juste en face de la rue Beethoven il y a un panneau métallique dont l’inscription signale aux passants l’existence d’une station des Bateaux Parisiens. Ce panneau est maintenu en l’air par deux montants en fer sortant de fourches épousant la forme du parapet : or ces fourches reposent justement sur une lisse longue d’environ 14 mètres.

Aussitôt après, et en amont, en face le n° 64 du quai de Passy, où se trouvait le 29 juin dernier, jour où j’ai examiné ces lisses, le Salvage office de l’armée américaine (?), commence un autre morceau de la lisse qui s’arrête à la hauteur du bec de gaz marqué XVI-5169, à quelques mètres de l’indicateur métallique du Nivellement général de la France, portant la cote : 35,382, c’est-à-dire non loin du pont d’Iéna enfin débarrassé de ses bas-côtés métalliques et affreux, datant de l’Exposition de 1900.

Indicateur métallique du Nivellement général de la France

Indicateur métallique du Nivellement général de la France

En amont de ce pont encore un bout de lisse allant du bec de gaz XVI-5154 au bec XVI-5153. Puis elle recommence un peu avant le bec XVI-4948, et, brisée en plusieurs tronçons, elle continue jusqu’en face la porte du n° 50 de l’avenue de Tokyo. À partir de ce point la lisse a disparu, mais on voit les traces du plomb de scellement dans la pierre jusqu’en face le n° 26, à la hauteur de la Manutention.

Enfin on la retrouve sur le parapet longeant la rampe qui descend à la berge en aval du pont de l’Alma jusqu’à un point en face du n° 4 de l’avenue de Tokyo. Puis plus rien, sur aucun quai de Paris, sauf erreur de ma part.

J’ai dit que les lisses étaient en fer ; mais il y en avait aussi en bois ; c’est ainsi que le 11 janvier 1825 l’Inspection générale de la Navigation demanda aux Ponts et Chaussées la réparation urgente des lisses en bois en aval et en amont du pont de l’ancienne barrière de la Gare [1]. Ce renseignement a été pris à la page 5 du tome XXV, des copies-lettres de l’Inspection générale de la Navigation à la Préfecture de Police.

Il nous parait intéressant de signaler comment sont entrés ces documents aux archives de la dite Préfecture.

En janvier 1913, M. Féron, l’érudit archiviste de la Préfecture de Police dont tous les historiographes parisiens apprécient la complaisance, passait, par le plus grand des hasards, quai de la Tournelle devant le bâtiment bien connu de l’Inspection générale de la Navigation. Il aperçut un gardien de bureau chargeant sur une voiture à bras des paperasses et registres que ce service se proposait d’envoyer au pilon. Parmi ces condamnés à mort figuraient d’énormes registres in-folio dans lesquels étaient copiées toutes les lettres de l’Inspecteur de la Navigation de la Seine, depuis le 1er fructidor an VIII jusqu’au 13 août 1879.

M. Féron les fit immédiatement rentrer dans les bureaux de la Navigation puis obtint de les faire verser aux Archives du quai des Orfèvres. Ce sont ces registres au nombre de 60, dans lesquels j’ai puisé les éléments d’une histoire du Pont de la Tournelle réclamée par la Société historique de la Montagne Sainte-Geneviève. Pour donner une idée de l’intérêt que présente cette collection, je citerai simplement un rapport daté du 22 thermidor an XI (10 août 1802) adressé au Préfet de Police par l’Inspecteur de la Navigation, sur une expérience du « Bateau du cn Fulton, qui a parfaitement remonté la rivière depuis un pavillon qui est en amont de la Barrière des Bons-Hommes jusques vis-à-vis des machines à vapeur de l’Isle des Cignes. »

Je citerai également cet extrait du registre XXI, page 8, à la date du 9 juillet 1815.

L’Inspecteur général de la Navigation à M. le Préfet de Police. n° 8638. Pont d’Iéna miné.

« M. Margana (un sous-ordre de l’Inspecteur) rend compte que des mineurs prussiens travaillent depuis la nuit dernière à miner deux des piles du pont d’Iéna côté du Champ de Mars, qu’il ignore le temps qu’il leur faudra pour cette opération, mais qu’ils disent vouloir faire sauter trois arches, qu’il a cru devoir faire descendre la patache à la barrière.
Dudit jour.
Ce n’est qu’à midi que je reçois ce rapport quant (sic) ce préposé en chef à son bureau à côté et que ce travail a commencé hier à 6 heures du soir.
Je viens vous prier de nouveau, M. le Préfet, d’intercéder près de qui de droit pour conserver ce pont qui est un des plus beaux de Paris. »

Par ces simples extraits on peut se rendre compte du service que M. Féron a rendu aux chercheurs de l’avenir en sauvant ces registres.

Je reviens à mon sujet.

Le service de remontage était assuré par des agents nommés envergeurs et pareurs de cordes.

Enverger une corde, lit-on dans le dictionnaire de Trévoux, c’est la passer au-dessous du pont pour le passage d’un bateau.

L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert reproduit la même définition en ajoutant : Il y a un officier envergeur de corde au Pont Royal.

Ce même ouvrage donne la définition du terme Pareur de cordes : c’est un officier qui sert à empêcher que la corde ne s’arrête lorsque le bateau monte, il y en a un pour cette fonction au port de la Conférence. Ces officiers accomplissaient un service de la plus grande utilité ; ils veillaient à ce que les imprudents ne soient pas happés par cette corde au passage, et ce n’était pas une sinécure.

Écoutez le récit de ce qui est arrivé le 2 Thermidor an XI et que j’ai relevé dans les registres des archives de la Préfecture de Police.

Du 2 Thermidor an XI
Au Conseiller d’État, Préfet de Police.
Citoyen Préfet,
« J’ai été informé par le cn Margana, qu’hier vers 10 h. 1/2 du matin un jeune homme d’environ  douze ans, danseur à l’Opéra, demeurant à Paris, chez ses Père et Mère rue Saint-Honoré n° 1453 division de la Butte des Moulins, passant sur le quay de Chaillot, le long du parapet, fut surpris par une corde de hallage tirée par huit chevaux et jeté à la Rivière, où sans doute il eut péri sans le prompt secours qui lui fut donné par le Préposé et les Mariniers de la Patache, qui dans ce moment allaient prendre la déclaration du cBachelet conducteur de deux bateaux sur lesquels étaient les huit chevaux. Ils l’ont promptement transporté à leur Bureau et en attendant l’arrivée de l’officier de santé et du Commissaire de police, le cn Margana lui a fait prendre les médicamens qu’il a cru nécessaires. Je prendrai d’autres renseignemens sur cet événement et s’il n’y avait point de Pareurs lorsqu’il est arrivé, je pense que le marinier doit au moins être vivement réprimandé, en conséquence je vous propose de le mander. »

Du 3 Thermidor.
« Au même. – Je vous ai fait hier un rapport relativement à l’accident arrivé à Passy par une corde de hallage qui a enlevé et jeté un jeune homme passant le long du parapet. Le cn Monthulé a pris ce matin des renseignemens sur cet événement et n’a pu acquérir la certitude qu’il n’y avait pas de Pareurs de cordes, mais il a acquis celle qu’en général ce service se fait très mal et le plus souvent pas du tout. Je crois devoir saisir cette occasion pour vous rappeler que par divers rapports, je vous ai démontré les inconvéniens qui résultent de la suppression des Pareurs de cordes et de la nécessité de les rétablir. Trois citoyens se présentent depuis longtems pour cet emploi ; tous ont la capacité nécessaire et plus ou moins de titres pour l’obtenir. Il est donc bien important que vous veuillez prendre une décision à cet égard et examiner auquel de ces trois citoyens il sera le plus avantageux de confier ce service, et enfin quelles seront les conditions. Je dois encore vous observer que ce travail avait été remis pour être traité immédiatement après l’organisation des Chefs des Ponts terminé depuis longtems, c’est pourtant le seul moyen jusqu’à ce qu’on puisse obtenir un deremontage (sic) sans hallage d’éviter des malheurs de la nature de celui qui devait résulter de l’événement qui fesait (sic) l’objet de mon rapport d’hier, car il est inconcevable que ce jeune homme ait été jeté assez loin pour tomber à l’eau fort éloignée du parapet en ce moment et c’eut été un malheur d’autant plus grand que cet enfant est on ne peut plus intéressant ; à peine âgé de douze ans 1/2 affligé de plusieurs infirmités graves, il n’en est pas moins l’appui de sa famille qui existe en grande partie du produit de son talent. »

Les enfants tombaient souvent à l’eau dans notre futur XVIe arrondissement. Le 18 Messidor an XII, je lis, dans les fameux registres, une lettre adressée à M. Marie, Fermier du Passage de l’eau de Chaillot :

« Je vous préviens, Monsieur (depuis l’an VIII le terme de Citoyen ne figure plus dans les registres), que sur le compte que j’ai rendu au Conseiller d’État, Préfet de Police, que vous vous êtes jeté à l’eau tout habillé, que vous avez sauvé la vie au nommé Lambert âgé de 14 ans, il m’a chargé de vous délivrer une médaille sur laquelle est l’effigie de Sa Majesté l’Empereur. L’Inspecteur général adjoint est chargé de vous la remettre.
Je m’acquitte avec plaisir de la mission du Conseiller d’État, Préfet de Police, et je désire que cette récompense de votre dévouement vous fasse sentir combien il est doux pour son cœur d’avoir à récompenser de belles actions. »

Le métier de pareur de corde n’était pas, avons-nous dit, une sinécure : il fallait faire écarter les voitures, les promeneurs et les imprudents de toute espèce. Je ne sais si je dois vous décrire l’estampe que j’ai vue à Carnavalet (Carton 115g) au cours de mes recherches sur la façon d’attacher le câble de traction aux vergues des bateaux à remonter. Je vais essayer de le faire, regrettant que les quelques mots de latin dont je me rappelle encore, ne puissent m’aider à braver l’honnêteté.

Donc, dans le carton en question, il existe une image populaire en couleurs représentant une Vue du Pont Royal prísse (sic) du Cours la Reine. Or on y voit un brave homme, monté sur le parapet, tranquillement accroupi, la partie postérieure charnue et nue de son individu, placidement exposée aux regards des promeneurs et promeneuses du Cours la Reine, tandis qu’un pareur de cordes conduit un équipage de deux chevaux halant un bateau, dont le câble de traction passe au-dessus de la tête de notre homme ignorant l’usage des chalets de nécessité, et pour cause, et ne se rappelant que le proverbe : Nécessité n’a point de lois. On tremble à la pensée de ce qui aurait pu arriver, si par une distraction du pareur, la corde avait surpris l’homme du parapet en ses occupations !

La sauvegarde des cordes de remontage des bateaux était une des grandes préoccupations de l’Inspecteur de la Navigation.

Le 30 Messidor an XII, il écrit ceci au Préfet de Police :
« J’ai l’honneur de vous rendre compte que la rampe du parapet de l’abreuvoir de Passy est cassée en deux endroits ; que les cordes des bateaux se prennent dans cassures et abîment les cordes, que même il y en a eut une coupée net hier en ma présence. Je vous prie de donner des ordres prompts pour la réparation, mais dans la crainte que l’on ne tarde beaucoup et qu’il n’arrive de nouveaux dégâts, je vous prie de demander que provisoirement on démonte la Rampe, parce que les cordes en coulant sur la pierre ne courent par le risque d’être coupé (sic) comme en se prenant dans la rampe. »

Il résulte de cette dernière phrase que par rampe, il faut entendre la lisse métallique.

On voit quel devait être l’embarras des envergeurs et pareurs quand survenait une de ces ruptures.

Je dis envergeurs et pareurs, ce qui représente deux fonctions, alors qu’il y avait aussi des Envergcurs-Pareurs de corde, c’est-à-dire que les deux fonctions en question étaient réunies en un seul individu.

Cette existence des Envergeurs-Pareurs nous est révélée par une ordonnance du 8 février 1808 qu’il est bon de lire en entier, car elle donne des détails sur les fonctions de ces préposés.

ENVERGEURS-PAREURS DE CORDE DE PASSY À PARIS.
Ordonnance du 8 février 1808.

Le Conseiller d’État à vie, chargé du IIIe arrondissement de la police générale de l’Empire, préfet de police, et l’un des commandants de la Légion d’Honneur ;

Vu le mémoire par lequel plusieurs mariniers de la basse Seine, faisant des transports pour Paris, demandent que, pour prévenir des accidents, il soit établi des hommes au fait de la navigation pour enverger et parer les cordes qui servent au halage, depuis la barrière de Passy jusqu’à la destination des bateaux dans Paris ;

Les rapports de l’inspecteur général de la navigation et des ports donnant son avis ;

Considérant que le halage des bateaux, dans Paris, a occasionné quelques accidents ;

Que, pour en prévenir, dans la suite, il convient de préposer des hommes au fait de la navigation, qui seront chargés de parer et de faire voler les cordes de manière que, sur les quais et les berges, il y ait sûreté pour le public,

Ordonne ce qui suit :
1° Il sera établi deux envergeurs-pareurs de cordes, pour le halage dans Paris, depuis la barrière de Passy jusqu’au Pont-Neuf ;
2° Leurs fonctions consisteront à veiller à ce que les chevaux employés à remonter les bateaux soient bien dirigés ;
A dégager les cordes lorsqu’elles éprouveront quelques obstacles ;
A les enverger sur les ponts, lors du passage des bateaux ;
A faire retirer les passants ;
3° Il est défendu aux propriétaires de bateaux de les remonter ou faire remonter dans Paris, depuis la barrière de Passy jusqu’au Pont-Neuf, sans le concours des envergeurs-pareurs ou de l’un d’eux ;
4° Le salaire des envergeurs-pareurs de cordes est fixé à 1 franc par chaque courbe [2] de chevaux employés à remonter les bateaux ;
5° Les deux envergeurs-pareurs de cordes sont responsables de leur service ;
Ils s’entendront entre eux pour qu’il se fasse, sans retard et avec sûreté, tant pour les mariniers et leurs bateaux que pour le public ;
6° Il est défendu aux envergeurs-pareurs de cordes de se faire représenter par d’autres dans leur service ;
7° Il leur est aussi défendu d’exiger un salaire plus élevé que celui fixé par la présente ordonnance ;
8° Les contraventions seront constatées par des procès-verbaux qui seront adressés au Préfet de police.

Le conseiller d’État, préfet de police,
DUBOIS.

Quel était le gain des envergeurs-pareurs ? J’en trouve le détail bien complet dans un rapport sur l’emploi des remorqueurs daté du 26 juillet 1827 (t. XXVI des Registres de l’Inspection générale de la Navigation).

Frais de halage par chevaux en 1827 d’un bateau de 42 mètres de long, 350 tonneaux de charge de Passy à Paris, port Saint-Nicolas.

1 râcle de 5 courbes de 2 chevaux chaque à 14 francs……….70 francs.

(Je n’ai pu savoir exactement ce que veut dire ce mot râcle que les dictionnaires considèrent comme représentant un bassin entre deux obstacles).

2 chevaux de renfort à la trémate et à l’aiguillette……….12 –

(Une trémate, c’est un banc de sable dans la Seine. Quant à l’aiguillette, je n’ai pu trouver la signification de ce terme).

Parage de cordes……….5 –
Usure de cordes……….70 –
4 hommes, équipage et nourriture……….32 –
Folles dépenses du contremaître……….12 –
Total………. 201 francs.

Dans cette somme ne sont pas compris les risques de retard et d’avaries auxquels on est exposé par l’emploi des cordes.

Les envergeurs et pareurs de cordes étaient munis de médailles de cuivre qu’ils devaient porter ostensiblement.

Petit à petit la traction mécanique se substitua au halage par chevaux. On en trouve souvent trace dans les Registres de la navigation, mais je n’y ai relevé que ce qui peut intéresser directement Auteuil et Passy.

Par exemple dans le t. XXXIV, le 26 septembre 1838, dans un rapport au Préfet de police relatif la demande d’un Sr Saillet voulant établir en Seine un bateau mécanique ayant l’eau pour moteur (sic), l’Inspecteur général de la navigation recherchant les points où on pourrait le placer, écrit :

« Le seul endroit qui pourrait être indiqué serait dans un angle rentré du quai de Billy ; mais il y a le halage. On doit donc repousser sa demande, mais elle pourrait être reprise et favorablement accueillie à l’époque assez prochaine où le halage par les chevaux sera supprimé sur le quai qui sépare Passy du pont de la Concorde.»

Ce halage par chevaux devait-il disparaître aussitôt que l’espérait notre inspecteur principal ; on ne le croit pas, car, le 13 avril 1839 (t. XXXIV), M. Vuaillet, un de ses sous-ordres, l’informait que « les coupures pratiquées dans les parapets des quais avaient bien été réparées, mais qu’au quai de la Conférence, en aval du pont de la Concorde, on a négligé de replacer les barres de fer sur lesquelles courent les cordes de montage des bateaux. »

Ce qui prouve que la traction par chevaux était toujours en usage ; d’ailleurs, les accidents qu’elle causait se multipliaient à tel point que la Municipalité de Passy s’en émut. La preuve s’en trouve dans ce rapport adressé au Préfet de police à la date du 22 avril 1842.

PARAGE DES CORDES DE PASSY AU PONT DE GRENELLE.

« MONSIEUR LE PRÉFET,

« J’ai examiné avec attention la lettre de M. le Maire de Passy et celle de M. Blum, maréchal des logis de la gendarmerie du même lieu, signalant divers accidents occasionnés par les cordes de halage et réclamant pour la commune la mesure adoptée entre Passy et le port Saint-Nicolas, c’est-à-dire un service de pareur-envergeur, tel qu’il a été établi d’après l’ordonnance du 8 février 1808.

« Je partage entièrement leur opinion sur la nécessité d’étendre ce service jusqu’au pont de Grenelle inclusivement et j’ai l’honneur de vous proposer de rendre une ordonnance à cet effet.

« Le parage commencerait immédiatement en aval dudit pont jusqu’à la barrière de Passy et il serait payé pour cette distance au pareur de corde 60 centimes par courbe.

« L’ancienne ordonnance qui règle le service depuis Passy jusqu’au port Saint-Nicolas subsisterait, mais comme elle a été soumise à l’approbation de M. le Ministre de l’Intérieur en 1808, la nouvelle ordonnance relative au parage du pont de Grenelle à la barrière de Passy, devra être soumise au Ministre des Travaux publics. »

Je n’ai pas eu le temps de rechercher si, en 1842, l’ordonnance réclamée par l’Inspecteur général a été prise, mais j’ai retrouvé dans mes vieux papiers, et vais vous la lire, l’ordonnance du 25 février 1846 établissant le service de passage des cordes des bateaux hâlés sur la Seine, le long des quais de Passy ; c’est de l’histoire locale au premier chef.

1846. — MAI.
PRÉFECTURE DE POLICE
ORDONNANCE
CONCERNANT
L’Établissement d’un Service de Parage des Cordes des Bateaux hâlés sur la Seine, le long du quai de Passy.

Paris, le 25 Février 1846,
NOUS, PAIR DE FRANCE, PRÉFET DE POLICE,

Vu les rapports qui nous ont été adressés relativement à divers accidens survenus sur le quai de la commune de Passy, et causés par les cordes de hâlage des bateaux naviguant sur la Seine, ainsi que l’avis de M. le Maire de cette commune, sur les moyens de prévenir le retour de semblables accidens ;

Considérant que, pour remédier à l’état des choses actuel, il suffit d’étendre au quai de Passy le service de Parage des Cordes des bateaux qui a lieu sur les quais de Paris ;

Vu les rapports de M. l’Inspecteur général de la Navigation et de MM. les Ingénieurs des Ponts-et-Chaussées ;

En vertu des arrêtés du gouvernement des 12 messidor, an VIII et 3 brumaire, an IX.

ORDONNONS ce qui suit :

ARTICLE PREMIER.
Le service du Parage des Cordes des bateaux naviguant sur la Seine, qui est fait dans Paris depuis la barrière de Passy jusqu’au Pont-Neuf, en vertu de l’ordonnance de police du 8 février 1808, aura lieu dorénavant dans la commune de Passy. Il commencera immédiatement en aval du pont de Grenelle.

II.
Ce service consistera à veiller à ce que les chevaux de hâlage soient bien dirigés, à dégager les cordes lorsqu’elles rencontreront quelque obstacle, et à les enverger sous les ponts lors du passage des bateaux, à avertir les passans et à les faire retirer.

III.
Il est défendu aux propriétaires de bateaux hâlés par des chevaux de les remonter ou faire remonter, depuis le pont de Grenelle jusqu’à la barrière de Passy ou à la barrière de la Cunette, sans le concours du pareur-envergeur de cordes.

IV.
Le service du pareur de cordes commencera en aval du pont de Grenelle et s’étendra :
1° Soit jusqu’à la barrière de Passy et lieux intermédiaires, et il sera attribué au pareur pour ce parcours une rétribution de cinquante centimes par courbe de deux chevaux ;
2° Soit jusqu’à la barrière de la Cunette et lieux intermédiaires et il aura droit à soixante-quinze centimes par courbe ;
3° Soit en un seul trajet jusqu’au port Saint-Nicolas et lieux intermédiaires, même en passant devant la barrière de la Cunette, moyennant une rétribution de un franc trente-cinq centimes par courbe.

V.
Le pareur-envergeur de cordes est responsable de son service et des retards qui proviendraient de son fait.

VI.
Le pareur-envergeur de cordes devra faire son service par lui-même : en cas d’empêchement, il ne pourra se faire suppléer que par un marinier agréé par l’Administration.

VII.
Il est défendu au pareur de cordes d’exiger rien au-delà des prix fixés par l’article 4.

VIII.
Les contraventions à la présente ordonnance seront constatées par des procès-verbaux qui nous seront transmis pour être déférés aux tribunaux compétents.

IX.
La présente ordonnance sera soumise à l’approbation de M. le Ministre des Travaux publics. Elle sera affichée.

X.
Le Sous-Préfet de Saint-Denis, le Maire de Passy, la Gendarmerie et les Agens du Service de la Navigation sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de veiller à l’exécution de la présente ordonnance.

Le Pair de France, Préfet de Police,
G. DELESSERT.

Approuvé par M. le Ministre des Travaux publics, selon l’avis donné par M. le Sous-Secrétaire d’État des Travaux publics, dans sa lettre du 14 avril 1846.

Le Pair de France, Préfet de Police,
G. DELESSERT.

Vous venez de voir que cette ordonnance prévoit l’institution d’un emploi de pareur-envergeur de cordes. Or, j’ai retrouvé le nom de ce fonctionnaire : il s’appelait Le Pesqueur et fut nommé par arrêté du 29 mai 1846 (Arch. P. P. B/D.471).

C’est sur cette nomination que je finirai cette trop longue communication ; mais, permettez-moi de vous faire remarquer l’intérêt qu’il y a de conserver les moindres vestiges du vieux Paris, surtout quand ils ne nuisent ni à la beauté ni à la commodité de la Ville. Tel est le cas pour ce malheureux bout de ferraille dont pas un Parisien sur mille n’a remarqué l’existence.

Puis-je espérer que la Société Historique d’Auteuil et de Passy élèvera sa voix autorisée pour demander au service compétent de la Préfecture de la Seine la conservation de ce vieux souvenir des coutumes d’antan ?

A. L’ESPRIT

Article publié dans le Bulletin de la Société Historique d’Auteuil et de Passy, tome X, n° 105, page 17.
L’article est consultable en ligne sur le site Gallica. La page 105 équivaut sur Gallica à la page 117 >>>

Nota : Les chevaux de halage étaient sur la partie haute des quais (avenue du Président Kennedy, avenue de New-York) où les parapets existent toujours. D’où la nécessité de décrocher les cordes pour les passer sous chaque pont. En 2014, il ne reste plus aucune trace de ces lisses.


[1] A peu près au débouché de notre actuel pont de Bercy.

[2] Pièce de bois à laquelle est fixée le cordage de remorque.