La verrerie de Chaillot, 1706-1720  - La cristallerie de Sèvres, 1727-1928

(Archives nationales F12 74-78)

Le 1er octobre 1706, par lettres patentes, est accordé à un sieur Louis Gouffé, pour vingt ans, un privilège lui permettant « de faire fabriquer à Chaillot des cristaux et autres ouvrages de verre. »

Cette manufacture s’est élevée. Elle est à l’entrée du village, du côté de la Seine, sur la paroisse de Passy. « On y travaille continuellement, dit Germain Brice, à quantité d’ouvrages dont il y a un assez grand débit. On y a trouvé, à ce que l’on dit, le secret de gobelets de verre qui résistent au feu. ››

À quelle époque meurt le titulaire de ce privilège ? C’est ce que nous ignorons. Il a pour successeur son fils Denis, et celui-ci ruine un établissement qui marchait très bien. Il se livre à des dépenses frivoles et inconsidérées, fait des dettes énormes, ce qui veut dire qu’il mène une vie de plaisir et de débauche. La manufacture reste fermée pendant quatre ans, à partir de 1720 ; elle est vendue par autorité de justice, et le concessionnaire est mis en prison à la requête de ses créanciers.

En 1725, un gentilhomme – qui pouvait sans déchoir être maître-verrier – Charles Dupin de Montméa, et un étranger, Robert Drumgold, sont subrogés en privilège. Ils ont acquis, disent-ils, un terrain et trois maisons dans la paroisse de Passy. Ils demandent au bureau de Commerce 1° qu’il leur soit permis d’établir leur verrerie à Passy ; 2° que l’exemption pour les droits sur le charbon de terre leur soit accordée ; 3° que la manufacture et les ouvriers ne soient point imposés à la taille ; 4° qu’ils aient à leur porte un suisse à la livrée du roi et qu’ils puissent mettre au-dessus de leur porte un tableau aux armes de Sa Majesté avec cette inscription : Verrerie royale ; 5° qu’il leur soit permis, exclusivement à tous autres, de ramasser dans les rues de Paris les verres cassés et de les acheter de gré à gré. Le Bureau du Commerce accorde les quatre premiers points, mais refuse d’insérer dans l’acte la dernière clause comme trop infime.

Dupin et Drumgold forment une société au capital de 60 000 francs, mais leurs associés – ils en ont quatre – n’en versent que 25 000. De là, d’interminables contestations sur lesquelles nous n’avons pas à insister, puisqu’elles n’offrent plus d’intérêt. Ils en réfèrent au Bureau du Commerce. Celui-ci prononce l’annulation de la Société, et accorde aux requérants la permission d’en constituer une autre.

Il s’agit toujours pour eux de s’établir à Chaillot quoique la manufacture de Denis Gouffé ait été vendue. C’est ce qui indique le privilège qui leur a été accordé. Autorisation leur avait été donnée de

« fabriquer des cristaux et toutes sortes d’émaux, de la figure, grosseur et grandeur qu’ils jugeront à propos, et la matière dont on sert à faire les colliers imitant les perles fines, et même toutes sortes de matières vitrifiées, de les vendre et débiter dedans et dehors le royaume, et d’établir pour cet effet une verrerie dans le faubourg de la Conférence – c’est son nom officiel depuis 1659 – autrement appelé de Chaillot – dans une ou plusieurs maisons de ce faubourg. « Il leur était enjoint » de ne servir dans leurs fourneaux pour la vitrification des matières que de charbon de terre, dont l’entrée leur sera permise avec exemption des droits dus aux cinq grosses fermes de Sa Majesté, leur permettant seulement d’employer 400 voies de bois pour la clarification de leurs cristaux. Sa Majesté fait défense à toute personne de fabriquer ou faire fabriquer à 20 lieues à la ronde de la ville de Paris aucun vase de matière vitrifiée, à peine de confiscation des ouvrages et ustensiles qui auront servi à fabriquer dans ladite distance, et en outre d’amende arbitraire – c’est-à-dire laissée à la décision du juge – applicable moitié à l’hôpital général, et l’autre moitié au profit des sieurs Dupin et Drumgold. ».

Les vitres, à cette époque, coûtaient fort cher. Il y en avait une fabrique considérable à Lyons-la-Forêt. Comme les forges, elles étaient dans le voisinage des forêts, où elles faisaient de grosses coupes. Nos associés étaient l’objet d’une faveur spéciale en étant autorisés à se livrer à cette fabrication.

« Le roi, dit le Bureau du Commerce, voulant non seulement relever la manufacture de cristaux, qui était ci-devant établie à Chaillot, mais encore autoriser l’établissement d’une verrerie audit lieu, permet fabrication de verres à vitres, à la réserve des glaces seulement. » (Le monopole des glaces avait été donné en 1666 par Colbert à un sieur Pecquot, qui en créa une manufacture au faubourg Saint-Antoine.)

Il leur était ordonné

« de n’employer aucun bois fort, bois neuf, bois en flottage et bois de déchirage des bateaux, mais seulement du charbon de terre, à condition aussi qu’ils ne pourront vendre les verres à vitres que sur le pied des autres verreries du royaume. »

Drumgold se retire, après avoir cédé la moitié de ses droits à Étienne Morin de Saint-Cirgue écuyer. Il a des dettes, et les créanciers sont à ses trousses.

Dupin et Morin sont donc en possession de leur privilège, mais où vont-ils l’exploiter ? Ils ne trouvent rien à Chaillot, rien à Passy, où ils prétendaient pourtant, ce qui était faux, avoir trouvé maisons et terrain convenables. On leur refuse même la permission de s’installer dans ce dernier village. Tout à coup, ils sollicitent l’autorisation de transférer leur verrerie à Sèvres, « sur quoi, dit le bureau du Commerce, il a été répondu qu’il fallait prier M. d’Angervilliers, intendant de la généralité de Paris, d’entendre les syndics et marguilliers de Sèvres, tant sur l’établissement proposé que sur l’exemption de la taille demandée en faveur des ouvriers de la manufacture. »

Les avis sont favorables. Dupin et Morin s’établiront donc à Sèvres. Comme ils le désirent, ils auront à leur porte un suisse à la livrée du roi, un tableau aux armes de Sa Majesté et l’inscription : Verrerie royale. Eux-mêmes et leurs ouvriers sont exemptés de toutes tailles « à condition qu’ils ne possèdent aucun bien dans la paroisse, et qu’ils n’y forment aucun commerce, négoce, ni travail autre que celui de la verrerie. » (octobre 1727).

Denis Gouffé reparaît ; il a des contestations avec Saint-Cirgue, resté seul concessionnaire. Veut-il s’insinuer dans le nouvel établissement ? On l’élimine.

« Il ne doit, dit le Bureau du Commerce, s’en prendre qu’à sa mauvaise conduite. Il passe pour un homme fort entendu dans le travail des matières vitrifiées, et il est capable de travailler lui-même. Saint-Cirgue n’a pas les mêmes connaissances ; cependant sa manufacture est sur un bon pied. L’on y trouve quantité de beaux ouvrages en cristal ; il a rassemblé les plus habiles ouvriers pour ces sortes de travaux, ce qui fait voir qu’il n’est pas essentiel que l’entrepreneur puisse travailler par lui-même. » Gouffé finit par obtenir un privilège pour établir une verrerie à Sens.

Saint-Cirgue avait acquis à Sèvres « une grande maison et un enclos de grande étendue où il avait fait construire plusieurs bâtiments pour la fabrication des cristaux, des carafons et des verres à vitres. » En réalité, il s’était installé au Bas-Meudon. Son établissement ne cessa de prospérer. Dans sa Description de Paris et de ses environs (1742), Piganiol de la Force recommande aux curieux « de visiter les ateliers de la verrerie royale de Sèvres, une des plus renommées par les bouteilles et les pintes, les meilleures du royaume. » Ailleurs, la fabrication de ces récipients laissait à désirer, puisqu’on transmet au Bureau du Commerce des plaintes « sur les abus dans la fabrication des bouteilles et carafons de verre, destinés à renfermer les vins et autres liqueurs, soit par la mauvaise préparation de la matière dont ils sont composés, ce qui cause la corruption des vins et liqueurs, soit par le défaut de matière suffisante. »
Les autres fabriques essayèrent de débaucher les bons employés ou ouvriers de Sèvres. Le Conseil d’État s’opposa vite à ces tentatives.

Par arrêt du 19 mai 1733, arrêt défendant « aux gentilshommes-verriers, tisseurs – ceux qui attisent, qui surveillent le feu des fourneaux – ouvriers, serviteurs, domestiques et autres employés en la manufacture royale de la verrerie de Sèvres, de quitter leur service et de s’éloigner de plus d’une lieue sans un congé par écrit de l’inspecteur pour le roi en ladite manufacture, sous peine d’amende et de punition corporelle ; défense sous les mêmes peines et de prison, à toutes personnes de débaucher lesdits gentilshommes, tisseurs, ouvriers, serviteurs et domestiques, et à tous maîtres de verrerie, de recevoir lesdits gentilshommes et ouvriers à peine de 3 000 livres d’amende solidaire. »

En 1817, dit un Dictionnaire des environs de Paris « au Bas-Meudon est une verrerie considérable ou manufacture de bouteilles dites vulgairement bouteilles de Sèvres, à cause de la proximité de ce bourg. »

En 1860, écrit Émile de la Bédollière, cette cristallerie appartient à une société dont M. Roullin est administrateur : « Elle fournit par milliers des bouteilles solides et de dimensions en harmonie exacte avec les mesures décimales. »

Cette cristallerie existe toujours au Bas-Meudon, sous le nom de cristallerie de Sèvres ; elle appartient à MM. Landier frères et compagnie. Leur dépôt est 15, rue Martel.

Ainsi, en 1927, la maison édifiée par Saint-Cirgue aurait pu célébrer son deuxième centenaire, chose rare dans les annales du commerce.

GABRIEL VAUTHIER

Article publié dans le Bulletin de la société Historique d’Auteuil et de Passy, tome XI, n° 111, page 153.
L’article est consultable en ligne sur le site Gallica. La page 153 équivaut sur Gallica à la page 277 >>>